Note de lecture du livre Les gardiens de la raison. Enquête sur la désinformation scientifique,
de Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurens
Par Marcel Kuntz
En tant que défenseur de la méthode scientifique et de l’utilisation de la Raison, cela aurait été pour moi une grande déception de ne pas être cité dans ce livre. Je remercie les auteurs de me faire l’honneur de me nommer 17 fois ! Merci, mais c’est trop vraiment !
Je note cependant dans ce livre plusieurs erreurs factuelles ou approximations me concernant (j’ai vu, sans les consulter, que d’autres personnes citées font la même remarque ; voir en bas de ce post), ce qui entachent la crédibilité de ce livre. Sans être un spécialiste, il me semble qu’il existe une pratique journalistique nommée « interview » et qu’elle permet d’éliminer les erreurs de ce type : je n’ai jamais été contacté par les auteurs…
Voici mes remarques plus précises.
Pages 30 et 31. Je suis cité à juste titre (merci !) comme auteur d’un rapport sur « L ’affaire Séralini, L’impasse d’une science militante » (téléchargeable gratuitement sur le site de la Fondapol ; 5 euros la version papier).
Il est affirmé dans le présent livre, toujours à juste titre, que cette affaire « est une référence majeure », mais non comme le prétendent les auteurs « dans l’imaginaire collectif de cette communauté souterraine » (on notera le mépris pour tous ceux scientifiques, journalistes et autres qui se sont intéressés à ce scandale), mais dans l’histoire de la « science » parallèle.
Je suis également désigné comme « membre de l’Afis ». Comme dit plus haut, une simple interview aurait amené les auteurs à corriger cette erreur (je n’ai rien contre l’Afis et j’admire l’exploit qui consiste à publier sa revue tous les trimestres, sans grands moyens, mais il me semble que la situation actuelle nécessiterait de fournir des précisions scientifiques dans un délai plus court, ce qui me motive plus).
Page 39.
« Dans cette salle se trouve une grande partie du casting de ce livre, ainsi que les principales idées d’une force politique qui semble encore ignorer ce qu’elle est. Des industriels et leurs organisations représentatives (l’Union des industries de la protection des plantes – UIPP –, Bayer/ Monsanto, l’Association nationale des industries alimentaires – Ania). Ses relais professionnels (les chambres d’agriculture, le Groupement national interprofessionnel des semences et plants, la FNSEA, le Syrpa). Ses communicants (Gil Rivière‑Wekstein, l’agence Protéines et Serge Michels). Ses experts (Jean‑Paul‑Krivine, Hervé Le Bars, Marcel Kuntz). »
En réalité, je n’ai pas participé à une telle réunion. Ce qui est d’ailleurs sans intérêt. Ce qui est plus intéressant est la description de cette réunion par les auteurs (« ce petit monde en sous‑sol ») : l’insistance à mentionner que cette réunion a eu lieu dans une salle située en sous-sol (les mots « cave » et « souterrain » sont même utilisés), à donner l’impression d’un grouillement et la mention d’un détail anecdotique (« petit problème d’éclairage dans la cave. Un court instant, les autres intervenants sont plongés dans les ténèbres ») donne l’impression que les auteurs décrivent des rats cachés dans l’obscurité d’une cave… A moins qu’ils ne les considèrent comme des malades mentaux (le mot « névrose » est utilisé…).
Page 65
Je remercie les auteurs d’avoir résisté à l’envie de parler (sauf erreur de ma part) du hoax de mes « liens avec Monsanto » (voir mon blog pour sa réfutation, si cela était encore nécessaire après des dizaines de fois…).
Ils affirment en revanche que « ce biologiste spécialisé en biotechnologie végétale a déposé un brevet avec Syngenta ». Là encore, une petite interview… aurait établi qu’en réalité, je n’ai rien déposé du tout, que je n’ai jamais été propriétaire de ce brevet (aujourd’hui je suppose dans le domaine public) et n’ai rien touché. Je me rappelle avoir expliqué cette histoire il y a des années et suis sûr que ces journalistes « d’investigation » pointus en retrouveront la trace sur internet…
Sur la même page, je suis coupable par association, d’avoir cosigné un article (de discussion) qui veut « mettre un coup de pression », devinez sur qui : l’International Society for Biosafety Research, « une plate‑forme de discussion entre savants, régulateurs et experts de l’industrie sur la question des biotechnologies ». Je confesse ce grave crime qui consiste à discuter avec une plateforme de discussion !
Page 116
« Dans son numéro de juillet 2012, Science & pseudo-sciences publie un article sous le titre : « Les abeilles, victimes de la course à l’audimat scientifique. L’auteur (c’est bien moi) y critique le protocole mis en œuvre et conteste la dose d’exposition choisie… »
Je renvoie le lecteur à cet article où je conteste en fait une méthode de communication tonitruante eu égards aux doutes que peut inspirer la méthode scientifique utilisée. Je n’aurais « aucune espèce de compétence professionnelle en apidologie ou en toxicologie de l’abeille ». Remarque savoureuse d’auteurs qui sont journalistes ou sociologue… Je précise simplement que j’ai été invité deux fois par le syndicat majoritaire des apiculteurs pour parler risque toxicologique pour les abeilles (certes des OGM, mais quand même) et que j’ai publié dans un contexte scientifique sur ce thème…
Page 124 à 125
« à la fin du printemps 2019. En avril, Le Point publie une interview‑fleuve… La parole est alors donnée à Marcel Kuntz, spécialiste en biotechnologie végétale et… membre de l’Afis (encore non !). C’est un tout petit monde, où l’on croise toujours les mêmes individus ».
Il s’agit de l’avis du CIRC sur le glyphosate, contredit par toutes les autres agences d’évaluation des risques dans le monde (ce que les lecteurs du Monde ne savent pas, ni les lecteurs de ce livre... un peu dommage non ?). Suite de ma citation :
« Quand vous êtes dans une agence qui fait son commerce d’un classement des cancérogènes, vous avez sans doute un a priori dans ce domaine », affirme‑t‑il (c’est moi), et les auteurs de ce livre poursuivent par : « sans expliquer comment une agence de recherche scientifique pourrait bien faire « commerce » de ses avis ».
Je recommande aux auteurs de ce livre de relire la conclusion de ma note sur l’affaire Séralini, que je termine par « le précautionnisme a induit un véritable affairisme scientifique pour évaluer les risques de toutes sortes d’activités humaines, un business où tous les acteurs (chercheurs, revues, institutions scientifiques, sans oublier les médias) ont intérêt à l’identification d’un effet délétère… ».
Et si les choses ne sont pas assez explicites, chacun peut consulter mon blog (Glyphosate : pourquoi le CIRC a-t-il produit un classement aussi contestable ?) sur les liens d’intérêt avec des avocats prédateurs qui espèrent soutirer beaucoup d’argent dans le cadre de procès contre Bayer sur le glyphosate (liens d’intérêt que les lecteurs du Monde ne connaissent pas non plus… aussi un peu dommage non ?).
Page 127 à 128
Au sujet d’autres de mes interviews, je persiste et signe : « C’est le camp du Bien qui pense que les autres ont forcément des intentions cachées. Et si vous sortez de la bien‑pensance, de cette religion écologiste, tout justifie les attaques les plus violentes. »
Page 280
Nous abordons ici la question de l’idéologie du genre… Les auteurs écrivent : « …le biologiste américain Paul Gross vilipende la « critique féministe de la science » – une critique qui, selon lui, s’apparenterait à une forme de relativisme ou d’idéologie antiscientifique ».
« Cette prose assimilant le féminisme à une posture antiscience est aussi colportée en France par le biologiste Marcel Kuntz, figure de l’Afis (toujours non !) et grand défenseur du glyphosate (voir sur internet la teneur exacte de mes propos sur cet herbicide) que nous avons croisé à de nombreuses reprises dans ce livre (oui, encore merci !) ».
On notera encore une fois un terme méprisant (« colporté »)… Suite du texte :
« Celui‑ci s’emporte régulièrement, et sur divers supports, contre les études de genre ». En février 2019 par exemple, il publie dans Le Figaro une tribune contre la progression des études de genre et de l’écriture inclusive au CNRS, phénomènes dans lesquels il voit l’existence d’une idéologie ».
Je ne m’emporte pas, j’explique ! Pardonnez-moi ce clin d’œil à Audiard. A part cela, c’est parfaitement exact, et je persiste et signe (voir mon argumentaire : « L’écriture inclusive et pourquoi elle ne devrait pas avoir cours dans les institutions scientifiques ».
Les auteurs poursuivent : « L’écrasante majorité des études sur le sujet témoignent pourtant de l’exact inverse. Les discriminations liées au genre sont banales et répandues dans le milieu scientifique ». Ces études proviendraient-t-elles de « sociologues » d’une même chapelle idéologique, publiées dans des revues de la même chapelle, après relecture par des « sociologues » toujours de la même chapelle ? Seraient-elles aussi crédibles que celles de Séralini sur un maïs OGM ?
Suite du livre : « Mais le principal danger, selon Marcel Kuntz, qui se répand aussi sur ce sujet dans des revues spécialisées en biotechnologie, viendrait de la progression du relativisme postmoderne en sciences exactes ». On notera encore une fois le grand respect des auteurs pour l’opinion des autres (je me « répands… » ; du haut niveau journalistique !). Pour le reste, c’est exact (je peux fournir mes articles sur simple demande).
J’arrête ici…
En conclusion
Le moins que l’on puisse dire est que les auteurs de ce livre ne s’inscrivent pas dans la longue tradition française (du moins chez certains intellectuels) des débats respectueux des autres même si l’on n’est pas d’accord avec eux…
Je ne doute pas de la sincérité des auteurs dans leur défense de l’écologie politique. C’est leur droit. Je n’ai cependant pas identifié en quoi il était justifié d’abattre quelques arbres pour publier ce livre militant.
Glané sur Internet
« On est dans le quasi-factuel, le superficiel et le mépris suintant. C’est le climat général de l’ouvrage ». Par Thomas Durand
Les champions de l’intox. Par Franck Ramus
Un nouveau journalisme : de l’insinuation à l’inquisition. Par Virginie Tournay
Les naufrageurs de la raison (et de la gauche). Par Laurent Dauré
Un flot continu d'attaques mensongères et d'approximations... pour changer ! Par Jean Bricmont
Journalisme d’insinuation : après les articles, le livre. Par AFIS
Un commentaire sur Amazon :
« Je viens de lire l’ouvrage à sa parution, vivement intéressé par le sujet abordé. Malheureusement, au fur et à mesure de ma lecture, j’ai été surpris par un grand nombre d’insinuations et de rapprochements hasardeux. Du coup, sous prétexte de dénoncer une forme de complotisme, les auteurs sombrent eux-mêmes… dans le même travers.
En outre, ils s'inscrivent la plupart du temps plus dans le procès d'intention que dans la recherche de la preuve, ce qui gâche le propos et donne à l’ensemble l’allure d’un règlement de comptes sans pour autant avoir la dimension d’un pamphlet.
C’est pour moi très décevant de voir un ouvrage manquant manifestement de toute rigueur aux éditions de la Découverte dont j’apprécie habituellement les publications ».