Ces réflexions ont pour origine le constat qu'une chapelle non-scientifique des sciences humaines et sociales (SHS) a littéralement pris le pouvoir dans nombre d'institutions scientifiques. La raison est que ces SHS postmodernes ne font que décliner sur les "controverses" scientifiques et techniques une nouvelle idéologie dominante à l'oeuvre plus largement dans les sociétés occidentales et en France en particulier,
Cette idéologie postmoderne a induit le communautarisme, pourtant contraire aux "valeurs de la République", qui a lui même été un terreau fertile pour la radicalisation religieuse, dans un pays qui se veut laïc, avec les conséquences que l'on sait...
Lire à ce sujet l'article "Penser après un vendredi 13".
De l'idéologie postmoderne
Tout le monde s’accorde sur le constat, les questions dites « sociétales » chères au gouvernement sont « clivantes ». Pour quelles raisons ? S’agit-il de luttes entre « réactionnaires » et « progressistes » ? Entre traditionalisme et modernisme ? En réalité la question doit être posée autrement, comme un choix de civilisation.
La société occidentale contemporaine, pour son malheur, est depuis quelques décennies la proie d’une tentative de « décivilisation ». Il convient de la penser comme postmoderne, c’est-à-dire à la fois anti-moderne et anti-tradition. Le postmodernisme s’est constitué un corpus théorique (citons l’ouvrage « la condition postmoderne » de Jean-François Lyotard en 1979) et est devenue progressivement idéologie dominante.
Celle-ci se définit comme un ensemble de « déconstructions »: l’Homme des Lumières (dissous dans un être individualiste et consommateur, à l’identité variable qui construira entre autres son « genre »), la Nation (à laquelle se substituent d’autres « communautés imaginées », comme les réseaux « sociaux » ou les rassemblements victimaires), la démocratie représentative (remplacée par une démocratie « participative », aux contours flous et où règnent des minorités actives) et enfin, déconstruction de la réalité elle-même par un constructivisme s’enivrant de « représentations du monde » en forme de discours.
Cette postmodernité rejette les valeurs universelles de la philosophie des Lumières – car portées par l’Occident – et propage une doctrine cosmopolite qui voit l’identité nationale comme un particularisme offensant pour l’Autre. La vision postmoderne confond l’ouverture aux autres cultures (une valeur des Lumières) et l’exaltation de la « diversité », aboutissant à la haine de soi. Ainsi, la lutte légitime pour les droits civiques de minorités ethniques est devenue antiracisme idéologique, le soutien à la décolonisation s’est transformé en tiers-mondisme aveugle, la condamnation de la persécution des homosexuels s’est muée en glorification des postures identitaires liées à des pratiques sexuelles (qui devraient rester) privées.
Une certaine Bien-Pensance croit devoir porter sur ses épaules toute la culpabilité de l’Occident. Ce « Sanglot de l’Homme Blanc » - cette « Identité Malheureuse » - est devenu la pensée hégémonique du camp du Bien. Le temps qui passe n’y fait rien : il s’agit de montrer, encore et toujours, sa solidarité avec les victimes classées en catégories, comme les « Afro-américains », les femmes, etc.). La rédemption de l’être postmoderne passe par la reconnaissance et l’accueil sans conditions de l’Autre, non dans son individuation (selon des valeurs chrétiennes, comme l’amour du Prochain), mais comme un ensemble de communautés idéalisées et condamnées à se vivre au travers des fautes commises à leur encontre.
Le postmodernisme est hermétique à la critique, car il déconstruit la notion de Vérité (y compris en science). Il ne veut ni la connaitre, ni même la nommer (ce serait « stigmatiser » une communauté !). Il a transmuté la passion égalitariste en relativisme généralisé : tout se vaut ! Il accepte de ce fait la domination de l’Opinion, même ignorante, sous des formes péremptoires : soit sous pseudonyme sur les réseaux « sociaux », soit au contraire de manière égocentrée chez les amuseurs publics des plateaux de télévision.
A l’Ecole, l’idéologie postmoderne a supprimé la référence mythique à « nos ancêtres les Gaulois », symbole d’un récit national, et donc honni. Le prétexte étant que cette référence ne correspondait pas à la filiation génétique des Français - « issus de la diversité » - et qu’elle risquerait de heurter cette « diversité » alors qu’il convient de la fêter comme telle. Elle a fait disparaître le beau titre d’Instituteur (et ses significations profondes) et elle prône désormais la « co-construction » de l’enseignement entre le Maître (devenu « communauté éducative ») et l’Elève (devenu « apprenant » !). Il serait bon de méditer ces délires « sémantiques » car ils accompagnent d’autres délires, cette fois « pédagogiques ».
La même menace touche la science, qui ne serait qu’une « construction sociale », une simple opinion d’une « communauté scientifique » partageant des présupposés, qui ne vaut pas plus que toute autre opinion. Relativisme oblige, les militants de l’écologisme et les charlatans doivent être écoutés comme (voire plus que) les scientifiques reconnus. Revêtant habilement les habits de la démocratie, une perversion démocratiste exige que la science devienne « citoyenne » ! L’imposture intellectuelle « sociologisante » devient hégémonique dans nos institutions scientifiques.
La pensée postmoderne incarne son pessimisme dans la Précaution érigée en Principe, et son nihilisme dans le rejet de toute foi dans l’Homme et le Progrès, dans l’abandon de la quête ouverte et généreuse du Vrai, du Bien, du Beau.
L’idéologie postmoderne n’est pas un « Suicide Français », c’est un suicide de civilisation.
Cet article a été publié le 30 avril 2015 par Le Figaro sous le titre "Le syndrome de la postmodernité, une maladie de l’Occident"