L'étude de Séralini et coll. a donc été réfutée à 100% par toutes les organisations scientifiques qui ont eu à se prononcer. Une question reste posée : comment les agences d'évaluation des risques peuvent-elle remplir leur mission sur des thèmes aussi politisés que les OGM.
Lire ci-dessous ma nouvelle tribune dans le Nouvel Obs (22 octobre 2012).
La désormais célèbre "étude-choc" du Criigen sur les rats nourris de maïs OGM a donc été réfutée par 11 agences d'évaluation des risques dans 8 pays, par celle de l'Union européenne (EFSA), et par six académies françaises. Les critiques sont venues aussi de personnes ou d’organisations qui n’étaient pas intervenues précédemment dans la querelle des OGM, comme l'European Society of Toxicologic Pathology. Les soutiens ne font pas preuve de grande conviction ; même certains membres du "conseil scientifique" du Criigen manquent à l’appel…
En fait, la stratégie des opposants a rapidement été d’allumer d’autres feux : "Que fait l’Etat ?, l’INRA ?" Les auteurs de l’étude du Criigen ont des "conflits d’intérêt", certes mais les autres aussi ! Tous pourris donc. Comme toujours, l’EFSA est au premier rang des accusés, malgré le soutien récent de son Forum consultatif qui lui "exprime sa confiance à l’égard de l'indépendance et des processus décisionnels scientifiques". Peu importe, puisque ce Forum est composé de représentants des organismes nationaux des pays européens responsables de la sécurité des aliments : tous pourris, puisqu’on vous le dit !
L’irruption des politiques dans l’évaluation scientifique des risques
L’évaluation scientifique des risques n’a pas à être entraînée dans des manœuvres politiques ; et pourtant elle l’est. Constamment. Sans scrupules. Cyniquement. Et pas uniquement de la part d’opposants radicaux.
Nous pouvions espérer qu’un gouvernement de la République ne concoure pas à la propagation de contre-vérités, notamment sur les effets environnementaux de la culture du maïs MON810, comme cela fut le cas de celui de Nicolas Sarkozy, pour tenter de justifier une interdiction de nature politique.
A ce sujet, rappelons l’indispensable séparation entre évaluation scientifique des risques et gestion des risques (qui, elle, est de la responsabilité des pouvoirs publics). Or qu’avons-nous vu dans l’affaire du MON810 ? Un sénateur, proche du pouvoir, présidant un comité scientifique provisoire constitué à la va-vite, et qui brandit des "doutes sérieux" le 9 janvier 2008, soit le lendemain d’une conférence de presse du président de la République où celui-ci annonça qu’une clause de sauvegarde sera enclenchée contre les OGM en cas de "doutes sérieux"…
Quand JL Borloo et NKM dictent leurs conclusions "scientifiques" au Président d'une commission d'évaluation des risques en janvier 2008. LIRE les détails.
Pour faire bonne mesure, mentionnons aussi l’interdiction de la formulation insecticide Cruiser OSR par l’actuel ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll, le 1er juin 2012, en invoquant un avis de l'ANSES sur une prétendue incidence de ce produit sur les abeilles. Or que dit cet avis ? L’agence recommande de poursuivre les études, sans mettre en cause cet insecticide sur la base des données actuelles.
Des agences françaises minées de l’intérieur par la politique
Le gouvernement précédent a contribué à déstabiliser le Haut conseil des biotechnologies en orientant la composition de ses membres. Son Comité économique, éthique et social a implosé, car toute discussion y était perçue comme vaine face aux positions tranchées des opposants aux biotechnologies végétales.
Sans grande surprise, ce qui reste de ce Comité "estime indispensable […] une étude destinée à évaluer de façon fiable et rigoureuse les éventuels risques sanitaires liés au maïs NK 603", en contradiction avec tous les avis scientifiques déjà émis. Comme l’explique sa présidente, pour "lever le doute" que l'étude Séralini a instillé "dans l'opinion publique". Le choix, politique, est donc clair.
L’ANSES, tout en réfutant cette étude, s’engage sur la même pente ("le vif débat public montre la nécessité de consolider encore les connaissances scientifiques"). C’est donc la capacité qu’ont certains groupes à susciter des polémiques sans base scientifique qui guide aujourd’hui l’évaluation scientifique des risques.
Des élus incapables de distinguer le vrai du faux
Après 16 ans de "débats" sur les OGM, l’argumentation scientifique est devenue inaudible. Plus largement, une partie du public y est déjà réfractaire. De plus, lorsque les politiques donnent l’impression d’agir dans la précipitation, de reculer, ils ne font que "structurer" l’idée du risque dans la population, décrédibilisant les avis scientifiques et leurs propres actions antérieures pourtant marquées par le précautionnisme.
Comme le montre les applaudissements des auteurs de l’étude du Criigen par une commission de l’Assemblée nationale, certains élus ne semblent plus pouvoir (ou vouloir ?) s’approprier les connaissances scientifiques afin de distinguer le vrai du faux. Ce qui est candidement résumé par l’un des membres de cette commission : "Dès lors que la communauté scientifique elle-même est fortement divisée et invoque des arguments contradictoires… Faut-il donc considérer que, in fine, les décideurs politiques devront se résigner à ne tenir compte, sur ce sujet, que de leur intime conviction ?".
Ce qui ne les empêche pas, influencés par une idéologie post-moderne et relativiste, de mettre en scène des pseudo-débats scientifiques et de prétendre les arbitrer…
Réformer avant de créer de nouvelles agences
Si la porte n’était désormais grande ouverte à toutes les décisions arbitraires dès lors qu’un "risque" est évoqué par de médiatiques "lanceurs d’alerte", la discussion d’une loi relative à la création d’une nouvelle agence ("la Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte en matière de santé et d’environnement") prêterait à sourire !
Comme les dispositions de cette loi sur la "protection des lanceurs d’alerte". Il semble échapper à la sagacité de nos élus qu’il s’agit généralement de fausses alertes, dont le bruit de fond nuit à leur perception des vraies, et que cette "protection" relève plus de la stratégie de victimisation des opposants que d’une nécessité.
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