Il devait arriver. L’opus 2012 des publications du Criigen (Séralini et collaborateurs) "prouvant" la toxicité des OGM est donc paru ! La parution de l’étude dans un journal scientifique fut remarquablement convoyée vers les médias. Le scénario mise en scène fut digne d’un roman de série noire (étude avec nom de code, importation rocambolesque des grains, maintien du secret devant de soi-disant menaces, etc.). Les produits dérivés sont sur le marché (livres, film, DVD, etc.).
Faire d'un cas une généralité
"Les OGM sont des poisons !" a titré "le Nouvel Obs". Une remarque préliminaire sur "les" OGM : l’évaluation scientifique des risques s’effectue cas par cas. La réglementation délivre des autorisations de mise sur le marché (ou peut les retirer) pour chaque type d’OGM individuellement. Il est donc erroné de parler "des" OGM. Si un modèle automobile présente un défaut, personne n’envisage le retrait de tous les types de véhicule…
En l’occurrence, il s’agit d’un maïs portant un caractère de tolérance à un herbicide, très commun dans les pays utilisateurs d’OGM et exporté vers d’autres pays (hormis la France qui n’importe pratiquement pas de maïs). Il est difficile de donner un chiffre exact, mais des millions d’animaux de fermes ont ainsi consommé des maïs portant ce trait génétique depuis son autorisation (délivrée en 2000 aux Etats-Unis, puis dans 14 pays et dans l'UE). Bien sûr certains animaux sont abattus très vite, mais pas tous.
L’hypothèse de la toxicité de ce maïs n’est donc pas la plus crédible a priori, car il n’a été rapporté aucun problème vétérinaire nouveau depuis sa mise en culture.
Des critiques mais un résultat à prendre en compte
Néanmoins, les scientifiques ont le devoir d’examiner cette publication à la loupe, même si la méthode du Criigen est détestable à plus d’un titre, notamment le mélange des genres entre étude scientifique et agit-prop politique. Je ne détaillerai pas ici le contenu de cette publication (les critiques scientifiques qui affluent sont compilées ici).
A titre personnel, je trouve l’étude méritoire dans sa partie "résultats", car elle présente nombre de mesures et apparaît d’un bien meilleur niveau que les "études" précédentes du même groupe, qui consistaient essentiellement à recalculer les données des industriels à l’aide de méthodes statistiques contestables (et sévèrement réfutées).
Des critiques sont avancées quant au protocole expérimental : pourquoi pas cette mesure ? Pourquoi pas plus d’animaux ? Soyons clair, aucune publication scientifique n’est 100 % exhaustive. Ma critique porte sur les conclusions : si des résultats peuvent être expliqués par diverses explications hypothétiques, il n’est pas déontologiquement acceptable de n’en présenter qu’une, alors que d’autres (qui innocentent l’OGM) sont tout autant et – peut-être plus – vraisemblables !
Une organisation politique
Bien évidemment, le Criigen étant une organisation de l’écologie politique, ses choix idéologiques pèsent lourdement dans ses interprétations des résultats scientifiques.
La question des études de nourrissage à long terme d’animaux fait partie du débat en cours. L’étude de Séralini et collaborateurs est-elle la première ? Tout dépend si l’on parle "des" OGM ou de l’OGM en question. Dans le deuxième cas de figure, l’étude récente est la première de ce type (il existe 6 études sur des durées plus classiques et une étude de la composition de ce maïs).
Au contraire si le débat porte sur "les" OGM en bloc, alors je me permets de citer notre propre publication scientifique récente, sur divers OGM. Elle compile 12 études de longue durée (dont deux sur deux ans) et 12 études sur plusieurs générations d'animaux (la plus longue sur dix générations successives d’animaux). Aucune n’a été financée par les industriels des biotechs, aucune ne présente des conclusions alarmistes.
Pourquoi ne pas rendre les données publiques ?
Venons-en aux aspects les plus condamnables des agissements du Criigen, le double discours tout d’abord. Dans une conférence de presse, il a été annoncé que l’ensemble des données des expérimentations ne seraient pas mises à disposition de l’EFSA, l’agence européenne chargée par la commission de Bruxelles d’examiner la validité de la publication. Cette attitude, qui ne peut que renforcer la suspicion, est en contradiction avec l’article 3 des statuts du Criigen qui affirme que l’organisation oeuvre pour "la levée du secret sur les […] Organismes Génétiquement Modifiés susceptibles d'avoir un impact sur l'environnement et/ou la santé", et avec l’activisme judiciaire des écologistes pour obtenir les données brutes des industriels. Provocation inutile, puisque d’une manière ou une autre les données seront rendues publiques. Ce qui nous amène à la critique suivante.
Les lobbies écologistes agissent invariablement, et c’est regrettable, suivant une logique de confrontation. Ainsi les scientifiques de l’EFSA (et d’autres…) sont constamment mis en cause en raison de soi-disant conflits d’intérêt. C’est devenu une obsession : tous ceux qui ne partagent pas leurs vues sont "vendus aux industriels", suivant ainsi Schopenhauer et son "ultime stratagème" (à court d’arguments, recourir aux attaques ad personam).
Une pensée autrefois visionnaire dans sa prise de conscience de l’impact des activités humaines sur l’environnement, et qui a su provoquer des changements d’attitude salutaires, s’est enfoncée dans l’idéologie. Contredite par les données scientifiques sur beaucoup de ses fausses alertes, celle-ci a créé sa propre science parallèle toute acquise à sa vision du monde, où l’auto-proclamation "citoyenne" remplace la déontologie.
MK. Tribune publiée par le Nouvel Observateur le 23-09-2012
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