màj août 2012 Click here for the English version
Une publication récente d’Aziz Aris et Samuel Leblanc dans le journal Reproductive Toxicology (Maternal and fetal exposure to pesticides associated to genetically modified foods in Eastern Townships of Quebec, Canada) affirme avoir détecté des traces :
d’herbicides (utilisés sur les variétés ‘génétiquement modifiées’ tolérantes à des herbicides) ou de leur métabolite principal,
ainsi que la protéine insecticide Cry1Ab (produite par certaines variétés dites Bt, résistantes à des insectes ravageurs)
dans le sang de femmes canadiennes, enceintes ou non, et des cordons ombilicaux.
Ce site publiera toute information crédible quant à la validité de ces affirmations et cet article sera ainsi mis à jour périodiquement.
Les commentaires critiques publiés sur ce site sont en accord avec ceux de l'Agence d'évaluation d'Australie et Nouvelle Zélande (FSANZ) et ceux de Alain de Weck (Professeur émérite d’immunologie). Lire aussi la publication de Utz Mueller & Janet Gorst (FSANZ) qui rappellent notamment que les composés prétendument détectés peuvent provenir d’autres sources que les OGM (utilisation des protéines Bt en agriculture biologique par exemple).
Lire les éléments d’information fournis par A. Blacker et coll. (Bayer CropScience) qui laissent penser à une erreur grossière quant à la détection du glufosinate et d'un métabolite. Lire aussi les réponses de D.A. Goldstein et coll. (Monsanto).
Une publication peu crédible
Seules les allégations d’Aris et Leblanc concernant la protéine Cry1Ab sont discutées ici pour le moment.
La protéine Cry1Ab est produite par les cotonniers et certains maïs Bt (par exemple MON810). Aris et Leblanc prétendent l’avoir détectée chez 93% des femmes enceintes et 69% des femmes non-enceintes testées et considèrent que cela est lié à la consommation d’aliments dérivés de variétés Bt. Il s’agirait donc de maïs, plutôt que d’huile de coton peu consommée au Canada.
Curieusement, les auteurs ne considèrent pas que l’origine de Cry1Ab puisse être les aliments issus de l’agriculture biologique (qui utilisent en épandage sur des cultures maraichères ou fruitières des protéines Cry1Ab ou des bactéries qui les produisent) ni son utilisation en jardinage (préparations d’« insecticides naturels » en vente libre).
Si nous retenons l’origine alimentaire via le maïs Bt, sachant que ces protéines ne bioaccumulent pas, il faut donc envisager une consommation récente.
Première question : 93% des femmes enceintes canadiennes consomment-elles quotidiennement ou presque du maïs ?
Deuxième question : les valeurs sanguines rapportées par Aris et Leblanc sont-elles compatibles avec les teneurs présentes dans les grains de maïs ? La réponse est non. Voici pourquoi :
Les auteurs rapportent des valeurs moyennes de 0,19 nanogrammes par millilitre (ng/ml) de sang chez les femmes enceintes. Sachant que, chez le maïs MON810 par exemple, les teneurs de Cry1Ab dans le grain sont comprises entre 190 et 390 ng/g de poids frais, en supposant que 1% puisse passer dans le sang (hypothèse extrêmement haute compte tenu des pertes lors du stockage du maïs, de la cuisson, puis de la digestion gastrique et des limites au passage éventuel de la barrière intestinale), cela nécessiterait pour une femme de 60 kg la consommation de 120 g de maïs (pour obtenir les valeurs sanguines moyennes de 0,19 ng/ml pour un volume de plasma de 2,5 litres) et d’environ 1,5 kg (pour les valeurs sanguines maximales rapportées de 2,28 ng/ml), ce qui parait irréaliste… Et encore plus si on tient compte de l’ensemble des fluides extracellulaires (soit 10 litres, ce qui impliquerait une consommation de 490 g de maïs en moyenne et 5,8 kg pour la valeur maximale).
Troisième question (qui découle logiquement des constats ci-dessus) : la détection de la protéine Cry1Ab par Aris et Leblanc est-elle fiable ?
Notons tout d’abord que le test utilisé, commercialisé par la société Agdia, est réputé détecter la protéine Cry1Ab à partir de 1 ng/ml (lire l'introduction de cet article).
Or Aris et Leblanc prétendent avoir détecté des concentrations moyennes plus faibles que la limite de détection, par exemple 0,04 ng/ml dans les cordons ombilicaux !
Citons ici la publication de Lutz et coll. (J. Agric. Food Chem. 2005, 53(5):1453-6) qui montre que le test de type ELISA utilisé par Aris et Leblanc n’est pas suffisant pour garantir l’identité des signaux positifs (« to avoid misinterpretation, samples tested positive for Cry1Ab protein by ELISA should be reassessed by another technique »).
A noter que Aris et Leblanc ne discutent pas ce problème, ni les résultats de Chowdhury et coll. (J. Animal Sci. 2003, 81:2546-2551) qui indiquent que ces tests ELISA ne fonctionnent pas pour le sang (de cochons)…
De plus, ils ne citent pas la publication de Paul et coll. (Analytica Chimica Acta 2008, 607: 106–113) qui discutent la validité des tests disponibles sur le marché…
Réponse (provisoire) aux questions qui se posent : en l’absence de validation de la détection de Cry1Ab, il est probable que les auteurs ont, de manière erronée, concluent que tout signal était indicatif de la présence de la protéine Cry1Ab, alors qu’il s’agit vraisemblablement de faux positifs.
Une validation possible, absente des travaux d’Aris et Leblanc de manière étonnante, eut été des séparations électrophorétiques des protéines du plasma et l’immunodétection de la protéine Cry1Ab (‘western blot’, technique de laboratoire très courante).
Il apparaît donc que cette publication est, en l’état, de qualité insuffisante pour être crédible. Elle n’a pas fait l’objet d’un processus de relecture suffisamment rigoureux et digne d’un journal scientifique, qui aurait du exiger la validation des résultats et leur discussion par rapport à la littérature disponible.