Les rapports entre scientifiques et les autres citoyens deviennent un enjeu politique majeur, en tout cas pour les forces politiques qui veulent contrôler la science pour mieux empêcher les innovations qui leur déplaisent. Un certain courant de pensée dans les « sciences » humaines joue un rôle hégémonique dans la propagation de l’idée que « le public» doit intervenir en amont dans les recherches.
Ce qui est devenu une pensée unique a ainsi influencé un rapport (par ailleurs intéressant) des Académies nationales des sciences, d'ingénierie et de médecine (NAS) des États-Unis sur le « forçage génétique » ("gene drive"). Plus récemment, des auteurs de ce rapport ont publié un article auto-congratulatoire sur ce rapport, en omettant de mentionner les aspects les plus problématiques du rapport (pourtant visibles comme le nez au milieu de la figure, car en sous-titre du rapport : aligner la science avec les « valeurs du public »). On pourrait rappeler Galilée ou Giordano Bruno, ou encore la science prolétarienne ou encore la science aryenne comme exemples de ce que peut devenir une science « alignée » sur les « valeurs » en vogue à un moment donné.
Je viens de publier dans la même revue (Science 355 (6325), p.590, February 9, 2017) une réponse traduite ici.
Selon le rapport de la NAS, les scientifiques devraient impliquer le « public » tôt et souvent dans leur recherche, lorsqu'ils explorent de nouvelles technologies, dans le but d'éviter le rejet du « public » plus tard dans le processus. Cependant, même si cela est devenu la pensée dominante, il n'y a simplement aucune preuve que le fait d'engager le public au début de la recherche, et «à égalité», profite aux scientifiques ou à la société.
Inclure «un large éventail de parties prenantes» signifie inviter au débat ceux qui ont des vues sans compromis, comme les militants anti-technologies. Ces parties prenantes sont très habiles à déployer des valeurs telles que la justice et la démocratie pour atteindre leurs propres objectifs. Mais, au début du processus de recherche, les scientifiques ne seront pas encore équipés de données à apporter au débat. En conséquence, les discussions ne peuvent qu’être dominées par des opinions et des intérêts économiques ou politiques enracinés à ce moment. Cela n'empêcherait pas les décideurs d'adopter des politiques qui s'appuient sur des perceptions erronées et des craintes plutôt que sur des preuves.
Comme l'a clairement indiqué la querelle sur les organismes génétiquement modifiés (OGM), l'approche participative et ses avantages pour la science, l'évaluation des risques ou la compréhension générale de ces processus nécessitent des analyses critiques.